Casimir a 35 ans, il est :
à terre, 9 mai 1848 au 28 juillet 1849, 12 mois et 29 jours, en congés 2 mois.
Quand Casimir de Bonne écrivait des Antilles, le 7 mars, il était bien loin de supposer qu’il servait un gouvernement républicain et qu’il allait, en rentrant en France, assister à une révolution.
Le 22 février 1848, le ministre Guizot ayant interdit des banquets réformistes, des barricades s’élevèrent dans Paris. Il démissionna le 23, le roi constitua le ministère Molé. Le même jour à la suite d’une échauffourée, la troupe tira sur le peuple au boulevard des Capucines. Les esprits s’excitèrent. Le lendemain le roi Louis-Philippe abdiqua en faveur de son petit-fils (24 mai) et quitta la France « avec son légendaire parapluie ». Les insurgés envahirent la Chambre et proclamèrent la république.
La monarchie était morte sans s’être défendue.
Si, en face d’une révolution menaçante, elle avait voulu prendre une initiative, les moyens ne lui auraient pas manqué. Disposant de l’armée et de la marine, qui avaient à leurs têtes les enfants de France, et de l’administration, elle pouvait faire ce qu’elle voulait.
En quelques instants le désordre fut général et la révolution faite.
Le Gouvernement provisoire ayant à sa tête Lamartine institua le suffrage universel pour l’élection de l’Assemblée nationale qui, devait décider des destinées de la France.
Les émeutes continuèrent un peu partout ; la panique suivit et une effroyable crise industrielle et commerciale augmenta la misère et surexcita les esprits. Pour calmer ces derniers et secourir les autres, on créa les gardes nationales et on institua les Ateliers nationaux.
L’Assemblée nationale, issue du Suffrage universel, se réunit en mai et une première insurrection du 15 fut apaisée par la garde nationale. Voyant, dans les 100 000 ouvriers des Ateliers Nationaux, une année prête pour l’émeute, l’assemblée décide leur dissolution le 21 juin. Une révolution, terrible cette fois, éclate et jusqu’au 26 juin la bataille fut acharnée dans les rues de Paris (journées de juin) 3.000 victimes périrent, entre autres Monseigneur Affre, Archevêque de Paris qui avait voulu s’interposer entre les combattants.
Le Général Cavaignac triompha de l’émeute qui fut écrasée à Paris, mais le mouvement se propagea dans beaucoup de villes de Province. Le contrecoup de cette révolution et de la crise économique se fit sentir dans la marine, par la réduction des crédits, le licenciement d’ouvriers d’arsenaux, la mise en réforme ou en demi-solde d’une partie des cadres.
Ce fut au milieu de ce désarroi, que Casimir de Bonne rentra en France, sur un navire marchand qui le débarqua au Havre. Il courût embrasser sa mère à Saint-Pons, ayant regagné Toulon, en position de congé à demi-solde, il éprouva de grosses difficultés pour toucher l’arriéré de ses appointements et le remboursement de ses frais de retour.
Les protecteurs, sur lesquels il comptait pour l’avancement dans la carrière, avaient été balayés par la tourmente. Il rechercha un embarquement et n’en trouva qu’un de courte durée sur le Narval (du 5 août au 15 septembre). Ne voulant pas rester à battre le pavé à Toulon il se fit mettre en congé sans solde, ce qui lui permit de suivre, à Saint-Pons, la période d’élection par le suffrage universel du Président de la République et de prendre part au vote. Il ne fut rappelé à Toulon qu’en juillet I849
Mon cher Louis,
Je pars de Paris samedi 26 et je pense pouvoir me trouver à Castres mercredi soir. Tache de m’envoyer un véhicule quelconque pour que je puisse venir m’abriter à Lostange pour un jour ou deux, si tu pouvais faire connaître mon arrivée à Léon, que sa garde nationale doit souvent appeler à Castres, j’aime à croire qu’il ferait en sorte de s’y rencontrer avec moi. Quant à Justine nous devons jouer à cache-cache encore cette fois ci, puisque j’ai appris par Armand qu’elle était partie pour Ronel.
La République Française grande et généreuse me fait payer mon voyage de Saint-Domingue à Toulon. C’est une perte d’un millier de francs que je l’aie.
Le vent ne souffle plus, pour moi, du côté des commandements et encore moine du côté des congés. Je me rends à Toulon, mais j’ai voulu vous voir tous en passant.
J’ai passé quelques jours à Paris pour voir un peu comment vont les choses et « avoir ce qu’on peut attendre de l’Assemblée Nationale ». J’ai vu deux grandeurs déchues : le Maréchal [Soult] et Fould. Ils ont été très bien tous les deux. J’ai pu acquérir, au Ministère, la preuve que ce dernier s’était beaucoup occupé de moi, quoiqu'en vain. Je lui ai rendu une partie de mon estime,
J’ai vu Carayon que la république parait déranger beaucoup ; il est toujours fort bon garçon et ne maigrit pas.
Monsieur Ferdinand était parti de Paris peu de temps avant mon arrivée ; je suis bien aise qu’il soit absent de Paris dans ces moments de trouble et de patrouille. La tribu des Milhaud patrouille à qui mieux mieux. Ses membres fraternisent et mangent du veau froid avec tous les soldats et tous les ouvriers de Paris et des environs. Les restaurateurs doivent bénir la République, car il se donne de grands coups de fourchette par le temps qui court.
À propos, ta dernière lettre me demandait du café Martinique. Mon intention était de t’apporter du café d’Haïti qui est aussi bon si ce n’est qu’il est mélangé de cailloux ; mais il coûte 5 sols la livre et, en passant à Port-Royal, des connaissances m’auraient facilement donné un certificat d’origine. Mon retour direct m’a empêché de faire cette opération.
Elle t’aurait coûté :
Achat de 100 livres | 25.00 |
Fret | 7.00 |
Droit d’exportation | 2.50 |
Frais de douane au Havre | 57.00 |
Emballage et roulage | 15.00 |
106.50 |
Fais la part des cailloux, mets en un quart par exemple, et tu auras 75 livres de café pour 106.50, ce qui est à peu près ce que le vendent les épiciers. Je ne puis pas te promettre de faire faire cette opération par la Danaïde car je viens d’apprendre qu’on l’avait rappelée à la Martinique. Si elle revient à Saint-Domingue le commandant Jannin ne se refusera pas à me l’aire cette commission, ou bien il serait peu reconnaissant d’une corvée que j’ai fait dimanche pour sa femme. Imagine-toi qu’il m’a fallu me lever/dimanche pour aller la prendre à Sept heures la mener au Ministère et rester son garde du corps jusqu’à 1 h ½.
J’ai du reste eu l’agrément, pendant cette attente, de passer deux ou trois heures avec les 100 jeunes vierges qui devaient accompagner le char de l’agriculture. On doit rendre pleine et entière justice aux membres de la Commission qui les avaient choisies ; toutes étaient plus laides les unes que les autres. La beauté de l’âme avait sans doute décidé le choix.
J’ai eu l’honneur de faire sortir Monsieur Armand (de Bonne) et Monsieur Adrien (de Cassaigne). Nous avons vu la revue et les illuminations ; j’ai vu en outre manœuvrer maitre Adrien pour ne pas rentrer à sa pension le soir, et j’ai conclu qu’il était un aimable carottier.
Fais mes compliments à Hauterive et à Gaïx.
Rappelle-moi au souvenir d’Amélie et tache de penser à moi pour mercredi soir
Ton frère affectueux
Ma chère mère,
Je suis arrivé à Toulon, hier soir, en fort bonne santé après avoir traversé Rimes et Marseille, qui, comme vous le savez, ont été rudement secouées par la guerre civile.
J’ai visité la ville avec un officier qui avait pris part aux événements. J’ai vu des traces récentes du combat, des rues dépavées, des toits veufs de leurs tuiles et portant encore des pavés qu’on avait eu la précaution d’y monter. Une ferme a été tuée à la place aux œufs. Elle se mettait à la fenêtre pour cacher son mari qui tirait de la chambre. Le même coup de fusil les a tués tous les deux, nous avons des journaux de Paris jusqu’au 24 mai et nous attendons avec une vive curiosité les détails des nouvelles, que le télégraphe a expédiées en bloc. Dieu veuille que ce soit la dernière fois que Paris aura à soutenir un pareil assaut. Toulon est fort tranquille. Les mitrons, qui ne gagnaient pas assez de cinq frs par jour, ont fait une grève, mais ils se sont remis au pétrin comme avant. Je suis, je crois, le quarantième lieutenant de vaisseau sur la liste d’embarquement. Je pense que bientôt on pourra obtenir des congés et alors j’en demanderai un, car je ne peux guère rester ici à ne rien faire. La ville est peu récréative de sa nature, même pour quelqu’un qui aime le monde.
Nous avons appris de mauvaises nouvelles de la Martinique et de la Guadeloupe, qui sait ce que ce pays va devenir.
Je n’ai pas reçu de lettre d’Henri, j’espère qu’il n’a pas été appelé à Paris, et que s’il l’a été ce sera après les désastreuses journées des 24 et 27.
Le gouvernement nous paye en papier et à moins d’acheter on perd 10 f. Cela m’est égal, car, entre ma chambre, ma pension et mes fournisseurs, je suis bien sûr de faire rouler mes billets de banque dans le commerce.
Les processions ont lieu comme à l’ordinaire. La Marine, elle-même, prête ses pavillons et les ouvriers pour les reposoirs. Les musiques du corps sont convoquées. Somme toute on ne s’aperçoit pas des événements de la Capitale. On ne compte pas, sait-on, plus de sept communistes parmi les ouvrières. Le reste est animé de bonnes intentions. Beaucoup sont propriétaires de bastidons ; les clubs sont tombés à plats celui de la Marine a été violemment fermé et le Président jette par la fenêtre, heureusement que c’était un rez-de-chaussée. Un officier d’artillerie a manqué d’être pendu ; la corde était prête et savonnée, et tout cela pour avoir dit aux ouvriers que leurs femmes leur faisaient la soupe, mais il s’était servi du mot pot-bouille que ces gens ne comprirent pas et qui leur parut une insulte grave pour leurs familles. Les femmes surtout étaient intraitables. Elles disaient que c’était un mot déshonnête. On put le sauver de la fureur populaire – on s’est expliqué depuis et on ne lui en veut plus.
Mes compliments à Louis et à mes sœurs. Bien des choses à tout le monde.
Je vous embrasse de tout mon cœur, votre fils affectionné.
Mon cher Louis,
Il y a un nombre incalculable d’officiers ici, je crois- que je suis le quarantième lieutenant de vaisseau à embarquer, ce qui me présage un séjour à terre assez long à moins qu’il ne me convienne de remplacer quelqu’un. La République nous a fait d’assez doux loisirs ; je n’ai encore entendu parler d’aucun service depuis huit jours que je suis arrivé. Le bon temps va revenir, ou l’on passait deux ans à terre sans discontinuer, et où il fallait se battre en duel pour pouvoir embarquer. Espérons que Monsieur Bastide, notre nouveau Ministre, reconnaîtra l’abus de cette agrégation d’officiers et qu’il nous permettra d’aller chez nous.
Nous avons en ville 300 voraces qui s’appellent légion étrangère italienne et qu’on a casernes au Mourillon. L’Amiral n’a reçu aucun ordre pour leur futur voyage, de sorte qu’on ne sait pas quelle autorité les a envoyés ici. Ils se tiennent tranquilles. La population ouvrière n’est pas turbulente, et, à part quelques scènes plutôt effrayantes que réellement dangereuses, la tranquillité publique n’a été que médiocrement troublée. L’Arsenal tourne pourtant à l’Atelier national, on fait fort peu de chose pour ne pas dire rien
Monsieur Delasseu président du club Maritime qui est républicain de l’avant-veille, à ce qu’il disait, a été jeté par la fenêtre du club maritime, qu’il présidait, par les ouvriers à qui il voulait expliquer ce qu’on entend par le mot popote, qu’un officier d’artillerie, pitoyable orateur, avait malencontreusement employé dans son discours. mais, rassure-toi la séance avait lieu au rez-de-chaussée. Cet abominable cuistre, qui a fait 120.000 frs d’économies sur son traitement, pendant 10 ans qu’il a commandé les bateaux à vapeur, a proposé que la Marine votât 2 jours de solde pour les ouvriers, un orateur a fait la proposition qu’il déposât d’abord sur l’autel de la patrie les nombreuses tabatières et bagues qu’il avait acceptées de l’infâme Royauté. La plaisanterie a été fort peu de son goût, et tout républicain qu’il est, l’auditoire, qu’il avait préparé d’avance, aurait appuyé l’amendement si la gaité et l’hilarité populaire ne l’avaient sauvé de cette patriotique spoliation, par l’abominable vacarme, qui a forcé de lever la séance.
Castellane a été très fâché de ne pas avoir connu ta présence à bord du Cacique dont il aurait désiré te faire les honneurs avec la grâce qui le caractérise.
Dis à Ludovic qu’il a voulu sans doute m’empoisonner dans le café où il m’a mené à Béziers. Il m’a fait prendre du café au suif qui m’a laissé des remords pendant tout mon voyage. Si ma lettre te trouve à Saint-Pons, où je te l’adresse en premier lieu, donne mon adresse à ma mère rue Saint-Roch N° 8.
Embrasse ma mère et mes sœurs, fais mes compliments aux cousins. Donne-moi des nouvelles d’Henri.
Je t’embrasse affectueusement, ton frère
Mon cher Louis,
Je reçois la lettre dans laquelle tu me parles du file de Monsieur Ramond, mais tu ne me dis pas du tout ce que ce jeune homme vient faire dans ce pays. Est-il soldat ? Marin ? Bourgeois ? Prêtre ? Ou comédien ?
N’importe, ma protection toute puissante s’étendra sur lui, envoi moi le moins possible de recommandations.
Nous avons longtemps travaillé à chercher un protecteur à Henri. Amélie peut nous tirer d’affaire, Monsieur de Préserville est aide de camp de Cavaignac, et par conséquent camarade de tous les aides de camp de la rue Saint-Dominique ; il peut très bien s’occuper d’Henri et s’il ne lui fait pas de bien il ne lui fera pas de mal.
On ne parle pas encore de donner des congés. Du reste en ce moment, je ne puis guère penser à partir, je suis retenu par mes affaires d’argent. On me conteste ma solde depuis le jour de mon arrivée en France, Il faut des réclamations et des demandes à l’Amiral et au Ministre, c’est à ne pas en finir. On va m’opérer des retenues sur ma solde le mois prochain, et je pourrais bien tirer le diable par la queue, ce qui ne me va pas.
Nous avons eu hier une fête funèbre en l’honneur des morts de juin. Jamais revue n’avait été aussi nombreuse. Ordinairement les employés cherchent à esquiver les corvées de ce genre. Hier tout le monde était au cortège, heureux de protester de sa sympathie pour l’armée et la garde nationale de Paris, qui viennent de nous sauver de l’anarchie et du pillage, et à quel prix ? Nous nous creusons la tête ici pour savoir comment on s’y prendra pour exporter les cinq mille condamnés politiques, et quel sera l’Amiral chargé de cette mission. Je ne suis pas un homme sanguinaire, mais quand j’entends appeler nos frères des misérables, l’écorne et l’opprobre de la Société, qui couverte de crimes ont encore commis des atrocités à faire rougir des peuplades sauvages, et qu’on nous demande pour eux de la mansuétude et des égards, je me prends à regretter qu’on ne les ait pas massacrés tous.
La mort de l’Archevêque de Paris a causé ici une profonde consternation. On a vu que de pareilles gens étaient décidés à tout, et on attendait avec bien de l’anxiété les nouvelles du lendemain.
Espérons que cette crise est passée et que nous aurons du repos pour quelque temps. Le pouvoir est maintenant composé de gens honnêtes, incapables de trahir leur mandat et de favoriser l’émeute.
Le bruit a couru hier que Monsieur de Lamartine s’était suicidé et que Ledru-Rollin s’était sauvé en Belgique. Malheureusement ces deux nouvelles ne se sont pas confirmées.
Je n’ai pas eu ni le temps ni l’occasion d’écrire à Ferdinand. Je lui parlerai dans le même sens que toi : c’est-à-dire, à ne pas autant ouvrir la bouche, à diminuer ses gestes et à parler moins, si toutefois cela lui est possible.
On commence de crier contre Roquemaurel, ou du moins contre son administration, tout en l’estimant et lui accordant la plus grande bonne foi.
Les officiers, qui étaient en faveur sous la royauté, retombent déjà sur leurs pieds avec la république. On fait des décrets qu’on viole ouvertement deux ou trois jours après. Je ne suis pas de 1re classe, j’ai au moins quarante rangs à parcourir, mais on attend une promotion qui diminuera mon éloignement du bienheureux numéro.
Adieu, Louis, fais mes compliments à Amélie et Rappelle-moi au souvenir de Madame Lax en lui faisant agréer mes hommages. Dis mille choses plus aimables les unes que les autres aux Villeneuve, Gaïx, etc., etc.
Portez-vous bien – je t’embrasse de tout mon cœur.
Ton affectionné frère
Mon cher Louis,
Nous avons ici de grands mouvements parmi les autorités. L’Amiral Parceval est remplacé, On l’accuse d’avoir cédé à l’émeute à Toulon et pactise avec l’émeute de Marseille, à laquelle il aurait promis des bâtiments pour transporter les vaincus hors du territoire. Ceux qui connaissent l’Amiral pensent que ces imputations sont de toute fausseté, Il demande un conseil d’enquête. Il croit avoir sauvé la ville et l’arsenal, et a dû être désagréablement surpris par la nouvelle de sa destitution. Tout le monde trouve qu’il a été d’une faiblesse désespérante
Un malheureux officier d’artillerie a manqué d’être écharpé par le peuple, sans qu’il ait eu l’idée de s’en occuper. Il aurait pu le faire partir dans la nuit, et le protéger lorsqu’il a été mandé le lendemain devant le peuple, tandis que le maire, qui est cependant un homme de désordre, l’a accompagné et a eu son bras passé sous le sien pendant tout le temps du danger.
Ayant été interpellé par la commission du gouvernement, à l’hôtel de ville, pour savoir si les ouvrières travaillaient, il a répondu que cela ne le regardait pas.
Sa femme, mère de l’Église, s’est laissé prendre à une lettre écrite par le frère de mon restaurateur, abominable communiste, dans laquelle il lui parlait de Jésus Christ, elle a fait adopter ce prédicateur par l’amiral, qui a eu avec lui plusieurs conférences et l’a même invité à diner, au grand étonnement de la population. Il a justifié, dit-on, devant témoins les ouvriers qui ont escaladé la maison du représentant du peuple Arene parce que la commission du gouvernement l’avait nommé maire.
Les plus indulgents disent que c’est une patate.
On dit qu’on va couper une jambe au grand Baudin qui a une tumeur blanche au genou provenant d’une chute de cheval, il a quitté l’escadre provisoirement et prend les eaux à Ischia.
Mon ancien commandant de l’Iéna Bruat, vient prendre la préfecture. Le Préfet du département est changé, le maire de Toulon, le commandant de la place et le directeur des constructions navales, tout cela part.
La population saine est enchantée et les tapageurs disent, dans leurs clubs, que pour le moment il n’y a rien à faire. On nous annonce une promotion de 16 capitaines de vaisseau. Ce qui me donnera au moins un avancement de 25 rangs et m’approchera de la 1re classe. J’ai les numéros 40 ou 39. On donne des congés de quatre mois, mais je n’en demande pas encore avant que mes affaires de solde soient réglées à Paris. Si je trouve à m’embarquer sur un bateau à vapeur pour quelques mois je le ferai volontiers.
Tu sais sans doute que la Sicile s’est donnée pour roi le fils de Charles Albert. Le Pluton n’a pas apporté d’autres nouvelles importantes.
J’ai prié Rivière, le Capitaine de frégate, de passer à la maison à Saint-Pons. J’ai pensé que Mathilde, serait flattée de voir quelqu’un qui a vu les missions en Chine. Je ne sais pas s’il l’a fait. Merci de me le faire savoir.
Je suis heureux d’apprendre que la récolte n’a pas été enlevée par le vent d’autan. Je t’en fais mon compliment ainsi qu’à ma mère.
Je n’ai pas encore reçu une lettre de service depuis mon arrivée. Tu vois donc que mon existence n’est pas pénible, mais pourtant elle devient monotone. Je n’aime pas le monde, je n’y vais pas, et, on a beau lire et voir les camarades, il reste bien des moments disponibles. Un peu de service ne gâterait rien. Je n’ai aucune nouvelle de Roquemaurel qui n’écrit à personne.
On nous annonce une masse de retraites dans les hauts gradés et sans les anciens lieutenants de vaisseau, mais alors on laisserait des places vacantes, car on porte le chiffre des malheureux à 100, chiffre qui n’a pas de rapport avec le nombre 16 des capitaines de vaisseau qu’on assure avoir été promus.
Adieu, Louis, Rappelle-moi au bon souvenir d’Amélie, et fais mes compliments à Hauterive et à Gaïx, j’espère que ta garde nationale est toujours aussi brillante que par le passé et que l’ordre et la paix florissant dans la commune de Navez.
Je t’embrasse affectueusement, ton frère.
Non moins significatif en effet de ce caractère de la réaction, le remplacement du préfet maritime. Parceval, l’amiral qui a toléré les grèves et permis l’armement des ouvriers, doit céder sa place à l’amiral Bruat. Les ouvriers ne s’y méprennent pas, qui envoient une chorale donner un sérénade sous le balcon du préfet révoqué. Parceval se défendra énergiquement, mais en vain, dans deux lettres adressées au gouvernement les 13 et 15 juillet 1848. Sur le premier point, il assure avoir fait pour l’ordre tout ce qui était possible, et sur le second que la mesure a été couverte et finalement autorisée par Guigues. (En vérité, nous savons nous, que Guigues ne se sentait plus en état de la refuser). mais d’autre part, en défendant avec de bons arguments la légalité et même l’opportunité de l’entrée des ouvriers dans la garde nationale, il montre bien qu’il avait tenu à cette mesure. Ce qui est sûr, c’est que c’est bien elle qu’on lui reprochait
Une ville ouvrière au temps du socialisme utopique Toulon de 1815 à 1851 – Maurice Aguhlon – 1977
Mon cher Louis,
…… il est possible que sous peu je t’en demande la moitié, car, par suite d’une chicane administrative, je suis privé de mes appointements jusqu’à concurrence de 670,50. J’ai écrit au Ministre pour me plaindre et lui faire connaître les énormes dépenses que j’ai eu à supporter depuis mon départ de Saint-Domingue. L’Amiral a appuyé la triple demande que je fais de mes frais de voyage d’Haïti à France, de mes frais de route du Havre à Toulon et enfin des appointements que je gagne pendant ce temps.
Une promotion a paru, ce matin, Roquemaurel et Jannin sont capitaines de vaisseau. J’espérais être de 1re classe, mais par une mesure fatale on n’a pas complété les cadres, il y a au moins encore 15 places de capitaines de frégate et je garde le numéro 8 des lieutenants de vaisseau de 2e classe – c’est ennuyeux.
Nous allons demain faire une visite à notre nouveau préfet Bruat. J’ai une peur affreuse qu’il n’aborde les questions de salaires des ouvriers et des heures de travail pour avoir l’honneur de les résoudre et de se grandir d’autant. Il nous a donné sa mesure dans les négociations auprès de la reine Pomaré, chez qui il a été gouverneur ou protecteur, du reste il nous est arrivé ici avec cinq aides de camp et un tahitien, Monsieur Taraririri, à qui le gouvernement français donne 600 frs par mois pour qu’il puisse apprécier les bienfaits de la civilisation. maitre Bruat n’est pas fâché de montrer, comme les triomphateurs romains, les esclaves des nations ennemies attachées à son char. Je me tâte le pouls pour demander un congé, on devient à présent moins difficile. D’un autre côté si je trouve un embarquement qui me convienne je le prendrai. J’attende pour me décider.
Je trouve ici tous, mes amis et camarades mariés, je voudrais en avoir fait autant, mais j’avoue qu’il me parait bien pénible et bien terrible d’aborder les préliminaires du mariage, une fois la chose faite, cela doit aller tout seul.
Je vois quelque fois Madame de Rivière chez qui j’ai diné hier. Mon camarade Raymond a, en vérité, la main bien heureuse pour avoir aussi bien choisi. Une chose vient en ce moment jeter un nuage sur son bonheur ; il est appelé à Perpignan et sa femme s’affecte beaucoup à l’idée de quitter sa mère. Je lui ai peint le séjour de Perpignan comme délicieux, il me semble que je t’ai entendu dire quelque chose comme cela – peut-être aussi que depuis la République les choses ont changé, et que le général de Lasbordes n’est pas aussi allant que le général de Castellane, mais enfin on vit partout.
Toulon n’offre aucune nouvelle intéressante. Notre escadre est à Palerme. Les fonds alloués par la marine aux ouvriers étant insuffisants, on doit fermer l’Arsenal un jour par semaine. Cela donnera aux ouvrières le loisir de se rassembler dans les clubs, et peut-être de faire quelques scènes de désordre.
J’ai eu enfin l’explication de l’inaction dans laquelle on me laissait depuis un mois. On m’avait oublié sur la liste des lieutenants de vaisseau. Je me suis fait une réputation d’homme zélé en réclamant mon tour de service. J’aurais en effet cru voler l’argent des contribuables en restant plus longtemps dans l’inaction. Un ami républicain ne peut agir ainsi.
Les républicains du reste sont, comme le Tyran, accessibles à des sentiments d’amitié et de camaraderie. Lamoricière vient de faire un Capitaine de frégate de son beau-frère Monsieur de Montagnac. On a trouvé cela imprudent mais fraternel. Voilà donc ce que deviennent les glorieux principes pour lesquels nous combattîmes en février. Ceci nous démontre une sentence de Jérôme Paturot, dont j’avais pu vérifier l’exactitude depuis longtemps : « toute association est faite à l’usage et pour l’avantage de quelques gros bonnets, les autres n’ont plus qu’à passer à la caisse ».
Adieu, Mon cher Louis, porte-toi bien ainsi qu’Amélie à qui je fais mes plus affectueux compliments, que Dieu te préserve du vent d’Autan, de la grêle et des visites de Baptiste. Fais agréer mes hommages respectueux à Madame Dax dont les enfants te servent de paratonnerre à l’encontre de malheureux Edmond.
Je t’embrasse et suis ton affectionné frère
Mon cher Louis,
Depuis le 21 du mois dernier je n’ai aucune nouvelle de toi
Du reste le diable se moque je crois de mes affaires, voilà 3 semaines que j’ai écrit à Paris pour réclamer ma solde, pas possible d’avoir des nouvelles. J’ai écrit à Roquemaurel à Monsieur Duchateau pour savoir ce que c’était devenu. Aucune réponse. Je ne sais qu’inventer pour arriver à une solution de cette maudite affaire. En atténuant je me suis embarqué, à bord du Narval, bâtiment qui fait ses réparations, dans le port, pour avoir une solde et pouvoir ainsi compenser l’absurde retenue qu’on fait sur mes appointements.
Les nouvelles d’Italie m’ont mis la Provence en émoi. On s’attendait à l’intervention et comme deux vaisseaux avaient reçu leurs ordres de départ on leur assignait déjà Gènes pour station. mais encore rien n’a transpiré, on ne sait pas où ils vont, ai c’était à l’escadre Baudin on n’en aurait pas fait mystère. Les transportés commencent à arriver à Brest. Ce sera une vilaine mission que de les charrier à leurs destinations, heureusement que le Narval n’aura rien à faire avec eux. Et que sa construction et son mauvais état actuel le mettent à l’abri d’une telle mission.
Notre Ministre de la Marine, après un facétieux rapport dans lequel il fait croire aux bons français que la marine dépensait, avant lui, trente millions en objets de luxe, se livre à des réductions de personnel tout à fait criantes, tous les matelots qui n’ont que quelques mois à faire sont congédiés, jusque-là ce n’est que bête car ces pauvres diables ne trouveront pas d’ouvrage dans les ports de commerce, tandis qu’on pourrait congédier les marins venant du recrutement dont beaucoup pourraient retourner au travail de la terre.
mais beaucoup de nos maitres ayant trente ans de service sont renvoyés chez eux avec un tiers de solde. Ils ont pourtant droit à leur pension de retraite depuis cinq ans. La plupart sont désespérés. Ce sont des hommes qu’on jette dans la misère et peut-être dans le mal, La République, qui devait rendre la France si heureuse, a le talent de blesser individuellement tout le monde.
C’est un singulier gouvernement. Tout le monde s’en plaint, mais tout le monde cependant est attaché, de cœur et d’âme, aux institutions républicaines. Ne serions-nous pas une nation de peureux, subjugués par quelques journalistes, qui seuls ont pu trouver leur compte à ces débordements ?
L’Assemblée nationale parait en ce moment bien agitée à propos de Louis Blanc et de Caussidière. Je regrette beaucoup que George Sand ne soit pas mise en cause elle aussi, pour ses inspirations communistes, et le rôle d’Égérie qu’elle a si bien pris auprès de Numa Ludru et de Lamartine. Il serait temps de faire justice de quelques mauvais drôles et de quelques cerveaux détraqués, qui remuent et renversent la Société en manière de passe-temps. Certes si un Roi s’était permis d’attaquer la fortune d’un seul de ses sujets ou sa liberté, il n’y aurait pas eu assez de journaux pour le maudire, mais la perturbation de l’industrie et de la fortune de la France, les journées du mois de juin et les assassinats isolés, qu’on se permet tous les jours sont d’aimables plaisanteries de nos frères égarés, pour lesquels on réclame l’indulgence et qui ont fait le mal sans s’en douter.
Décidément je préfère le Tyran. Je me trouvais assez libre sous son règne, et bien plus tranquille. Je ne sais pas si la Gazette de France parviendra à faire comprendre aux Français la nécessité Monsieur de Chambord. Quant à moi je ne sais plus qui croire, et préférerais de beaucoup être fermier aux États-Unis qu’officier de la République une et indivisible. Je me remets à travailler l’anglais, cela pourra me servir peut-être.
Adieu, Mon cher Louis, mes compliments affectueux à Amélie, et donne de mes nouvelles à Saint-Pons. Compliments d’usage à Hauterive, Gaïx et Castres. Je t’embrasse, ton affectionné frère
Pendant que la royauté s’écroulait en France, le mouvement révolutionnaire ébranla toute la vieille Europe. L’Italie depuis 1815 était morcelée en petite états, placée sous l’influence de l’Autriche qui avait réprimé durement plusieurs tentatives de libération des Italiens. La révolution éclata en 1848. La République fut proclamée à Florence et à Rome, d’où, le Pape Pie IX dut s’enfuir à Gaète après l’assassinat de son ministre Rossi. Les Républicains aides de Charles Albert roi de Sardaigne entrèrent en lutte contre l’Autriche qui comprima ce mouvement par la victoire de Novarre (1849). Ce ne fut pas elle cependant qui détruisit la république Romaine, le Prince Napoléon, président de la République française, prit les devants, envoya une armée qui s’empara de Rome défendue par Garibaldi (juillet 1849), rétablit la domination pontificale et continua d’occuper la ville éternelle (jusqu’en septembre I870)
Mon cher Louis,
…. car j’ai besoin de quelques fonds surtout si je prends un congé, chose qui devient facile aujourd’hui. Le Narval ne commence pas ses réparations, on ne peut donc prévoir quand il les aura finies et encore moins quand il prendra la mer. Heureusement que je suis second, c’est à dire ayant quelques sous de plus que les autres, ce qui me permet de vivre sans trop tirer la langue. Le Ministre m’a débouté de mes prétentions pour une somme de 1.000 frs que je lui réclamais, mais il a levé l’embargo qui pesait sur mes appointements.
Des rumeurs vagues circulent, il est question de donner des demi-soldes. Roquemaurel attache son nom à des mesures qui font crier beaucoup et qui sont souverainement injustes. J’aime à croire qu’il reviendra sur certaines d’entre elles. Le licenciement de 4.000 hommes de l’infanterie de Marine est, dit-on, décidé, ainsi que la suppression de 10 compagnies d’artillerie de marine. Les officiers malheureux seraient mis en demi-solde et ils auraient droit à un quart de l’avancement.
Deux vaisseaux le Jemmapes et l’Hercule quoiqu'en inspection générale ont reçu l’ordre de partir en quelques heures. On suppose qu’ils sont allés renforcer l’escadre Baudin.
Ton protégé Ramond est à bord de l’un de ces vaisseaux que commande Monsieur Laguerre. As-tu entendu parler de la prochaine candidature de Jaurès, le Capitaine de frégate ? Il m’a fait hier cette communication qui m’a paru singulière.
Nous lisons avec un vif intérêt le récit des prouesses de Louis Blanc, Ledru-Rollin et Caussidière. Quoi qu'en dise Léon je préférais Louis-Philippe et Monsieur Guizot.
Les correspondances particulières annoncent que les massacres continuent dans nos colonies et que tout le monde émigre. Voilà une singulière liberté et une singulière égalité qui dépouillent et qui tuent. Si c’est l’âge d’or que ces deux vertus républicaines doivent amener, au diable la République et tous ses suppôts.
Tu me parles des élections de Toulon. Nous avons un homme énergique ; le général Buchez, trente honnêtes gens, mais faibles et cinq mauvais drôles rouge écarlate. On a eu le bon esprit de faire nommer les conseiller par section, sans quoi les ouvriers de l’Arsenal nommaient tous les leurs. Le quart des électeurs tout au plus a exercé ses droits, droits précieux que février nous a octroyés, mais parmi les gens de désordre pas un n’a manqué..
Fais mes compliments à Amélie et rappelle-moi au souvenir de nos amis d’Hauterive, Gaïx et Castres.
Je t’embrasse de tout mon cœur
Ma chère Mathilde,
Après mes affaires, celles du pays. Un décret convoque les électeurs de l’Hérault pour nommer un député. Quels sont les candidats ? Malgré mon peu de sympathie pour l’abbé de Genoude qui a travaillé à nous amener la république, je n’hésiterais pas à lui donner ma voix surtout s’il a Laie sac pour concurrent. Aussi que Louis et le Curé me mettent au courant soit directement soit par ton intermédiaire.
Depuis deux jours le port est sens dessus dessous. Quatre frégates à vapeur : Magellan, Christophe Colomb, Montezuma et Cacique se tondent de vivres, de charbon, de poudre et de matériel d’artillerie de campagne et sont prêtée à partir au premier-coup de télégraphe, pour Marseille, dit-on, le Solon est parti avec des ordres cachetés, mais il a été rencontré sur la route de Naples, le jour même, par la Salamandre. l’Elan, qui avait reçu l’ordre d’armer, reçut le lendemain contre ordre, et aujourd’hui on lui donne deux jours pour prendre la mer. Le Narval pourrait bien recevoir quelque ordre.
On se perd en conjectures. Cee frégates vont-elles prendre des troupes pour Civita-Vecchia, Livourne, Ancone ou Venise ? Mais on leur a fait prendre les cartes de l’océan.
Iraient-elles aux Antilles ? Où chercher les condamnés de Brest ? Seraient ce les Baléares dont on annonce la remise à la France pour acquitter les dettes de l’Espagne ?
On nomme aujourd’hui un conseiller général, on assure que ce sera Monsieur Aguillon, riche propriétaire, appartenant à l’opinion légitimiste, et ce qu’il y a de plus singulier, c’est que ce sont les ouvrières qui le mettent en avant. Tous les sacripants et tapageurs de l’arsenal portent l’oreille basse depuis qu’on procède à une épuration. Ils ont tous des certificats constatant qu’ils ont empêché d’assassiner Monsieur tel ou tel, qu’on n’avait jamais su être en danger, mais on ne tient compte que de ce qu’on leur a vu faire, et fort peu de ces témoignages écrits par des gens qui ne valent pas mieux qu’eux ; c’est d’un bon exemple pour le présent et pour l’avenir aussi.
Ma mère, malgré son rhume, a dû se mieux porter, pour renoncer à prendre les eaux d’Ax dont elle se promettait un grand soulagement. Ferdinand a dû s’en trouver on peut désappointé. Je ne sais si je t’ai dit que j’avais reçu une lettre de lui dans laquelle il me racontait qu’il avait fondé un cercle politique concurremment avec un autre gros bonnet de l’endroit, surnuméraire aux postes ou à l’enregistrement. Je suppose qu’en sa qualité de parisien, il doit avoir une certaine influence dans la localité. J’espère toutefois qu’il ne se fera pas prendre à grippe comme ses collègues de Toulon, qui sont horriblement tracassiers et qui verbalisent pour six cigares.
Je vous embrasse, ma mère, Eliza, Louis et toi
Ton affectueux frère
Compliments, respects, salutations, amitiés, souvenir, etc. etc., à qui de droit, sans que je prenne la peine de désigner les personnes. Nos relations ne sont pas si nombreuses et sont assez bien établies pour que tu ne craignes pas de te tromper en rendant à chacun ce qui lui appartient.
Mon cher Louis,
Ne t’ayant pas écrit pour t’envoyer de l’argent, je pars pour Saint-Pons dans 10 ou 12 jours et tu me le remettras alors de la main à la main. L’économie, quand même, qu’on apporte dans tous les services de la marine a fait qu’on m’a mis à pied. Comme je ne vois pas de chance d’embarquement, d’ici à bien longtemps, et que Toulon est bien fastidieux, je vais prendre mes quartiers d’hiver à Saint-Pons, quitte à aller prendre mon point de départ à Paris, une fois que je serai de 1re classe.
J’avais l’intention de voter pour Monsieur de Genoude, mais nous n’avons pas été convoqués, j’en suis maintenant fort aise, car dans mes relations avec mes compatriotes, j’ai vu que Monsieur Laissac l’avait emporté. Il devenait donc totalement inutile de se mettre en avant. Vous aurez aussi à nommer un député, dans le Tarn ; la mort de Monsieur d’Aragon a fait un vide que bien des patriotes à 25 frs désireront combler. Je t’ai déjà parlé de mon ami Jaurès, je ne serais pas étonné de le voir surgir dans quelques listes.
Tu as sans doute appris le bombardement de Messine, on dit que les autres villes du littoral éprouveront le même sort. Les Amiraux français et anglais désirent empêcher de pareilles horreurs. Leur intervention « officieuse » sera-t-elle assez puissante ?
Nous avons toujours sur rade quatre frégates à vapeur chargées de poudre de matériel d’artillerie et de vivres. Malgré que l’Autriche ait accepté la médiation de la France elles sont toujours à même de partir.
Rien de nouveau ici qu’un pitoyable spectacle qui a commencé ses représentations il y a 15 jours. Heureusement que la troupe est tellement mauvaise que le Conseil municipal a cru devoir revenir sur son premier vote, il a réservé la subvention annuelle et a promis de l’accorder si le 25 octobre le grand opéra pouvait fonctionner. On bat les buissons pour trouver des ténors et des danseuses, si tu en connais envoie les ici ils pourront se placer.
Je ne sais pas si vous avez le choléra à Castres, mais ici tout le monde se plaint de coliques violentes. J’en ai été atteint pendant 2 jours de manière à me fatiguer beaucoup, mais les bas de laine et la diète m’en ont débarrassé.
Les journaux parlent beaucoup de menées légitimistes dans les départements du Midi ; j’aime à croire qu’à Castres tout cela se passe en conversations de salon ou en vœux formulés dans l’intimité et qu’il n’y a rien de vrai dans ces prétendus embauchages et conspirations de Montpellier et de Toulouse. Un de mes amis, que tu as vu du reste ici, Monsieur de Lablenie ou de Lapeyrouse, car il porte ces deux noms et deux autres encore, s’est vu emprisonner à Montpellier. Sous ne savons trop pourquoi, car les explications qu’on nous donne ne nous expliquent rien.
Notre uniforme n’est pas encore changé, le Gouvernement dans sa sollicitude aura écouté les réclamations des brodeurs, passementiers et autres puissances du jour, mais il devrait bien nous en informer pour que nous sachions à quoi nous en tenir.
Pais mes complimente à Amélie, Adieu, porte-toi bien
Je t’embrasse de tout mon cœur, ton frère.
Charles Jaurès, né à Castres le 5 décembre 1808 et mort à Paris le 6 novembre 1870, frère de Benjamin
Il entre au collège de la marine à Angoulême en 1825. Il prend part en 1830 à l’expédition d’Alger. Il commande, en 1848, le Solon dans les mers de Chine. Il commande la frégate Jeanne d’Arc et participe avec la division de Bourbon à la campagne d’Indochine (1852-1855). Il est aussi connu pour avoir ramené l’obélisque de Louxor.
Probablement l’ami de Casimir, sauf qu’il n’était peut-être pas en France en 1848.
Benjamin Jaurès, né à Albi le 3 février 1823 et mort à Paris le 13 mars 1889.
Il entre dans la Marine en 1839. Il connaît une brillante carrière dans la marine et reçoit le 16 octobre 1871, le grade de contre-amiral, en récompense de ses brillants services pendant la guerre de 1870.
Nommé dans le Tarn, lors des élections complémentaires du 2 juillet 1871, député à l’Assemblée nationale comme républicain modéré de centre gauche. Il devient sénateur en 1876, vice-amiral en 1878, ambassadeur de France à Madrid, puis à Saint-Pétersbourg.
Le 22 février 1889, il est nommé ministre de la marine dans le Gouvernement Pierre Tirard et meurt subitement à ce poste le 13 mars 1889. Il est enterré à Graulhet.
Jules Jaurès (1819-1882), paysan à Castres, cousin germain des deux précédents, père de :
- Jean Jaurès, né 1859 à Castres – assassiné le 31 juillet 1914
- Louis Jaurès (1860-1937), amiral et député
Sources Wikipedia
Mon cher Louis,
J’ai cru devoir différer mon voyage dans le Castrais, surtout ne trouvant pas une occasion pour partir autre que la diligence, qui n’arrive qu’à 7 h du soir, heure à laquelle tout nomme rangé doit être hors des chemins vicinaux par la pluie et l’obscurité qu’il fait, sous peine de chavirer ou de s’embourber. Comme je suis sûr que ma mère oubliera de te rappeler la demande de vin de Bordeaux à Monsieur de Foucault, je te prie de t’en charger en temps utile, car il est bien à craindre que l’armoire aux vins ne se transforme complètement en vinaigre ou en bouteilles vides d’ici à peu de mois, si je ne m’occupe de la faire repeupler.
Amélie apprendra avec plaisir, sans doute, que le tapis auquel elle a tant travaillé, a été inauguré le jour de la Toussaint au grand ébahissement des badauds et au grand bonheur des enfants de chœur qui y ont imprimé leurs souliers, crottés à plaisir. J’ai proposé au curé d’introduire, dans son église, l’usage que suivent les Turcs dans leurs mosquées, s’il veut conserver longtemps ce meuble précieux. Cet usage est celui de déposer ses chaussures en entrant ou d’en prendre d’autres que celle qu’on porte dans la rue. Je ne demande pas de brevet d’invention pour mon idée et je t’autorise à la faire connaître au curé de Navez, dont les paroissiens suivent un usage tout contraire. Ils vont pieds nus dans les chemins, et mettent leurs souliers pour entrer dans l’église.
Notre préfet est venu dimanche à 2 h et est reparti à 2 h ½ à peu prés. On n’avait pas eu le temps d’organiser l’enthousiasme que sa présence devait produire. Le maire l’a reçu dans son costume de fileur. C’est en vain qu’un gendarme, parti ventre à terre pour « la mécanique », a épouvanté les gens qui allaient à Vêpres pour lui portez- son frac noir, le préfet était reparti avant l’arrivée de l’habit.
Que pourrais-je te dire encore. Il faudrait un volume pour te raconter convenablement la grande querelle des pompiers et de la garde nationale. Cette question de préséance a soulevé des haines dont la guerre des Guelfes et des Gibelins pourrait seule donner une idée. On n’a pas osé réunir ces deux corps le jour de la Toussaint dans la crainte d’une collision.
Nous vivons dans des temps bien étranges. Dimanche les dévotes, qui allaient à la première messe, ont cru à un miracle. L’arbre de la liberté qui n’a plus de feuilles, portait un fruit énorme. De fruit était un pendu. La terreur s’est emparée des esprits, les anciens se sont crus revenus au temps de ce bon Monsieur de Robespierre, et déjà l’émotion gagnait dans la population, lorsqu’un homme de bien ayant coupé la corde, on vit tomber de l’arbre un mannequin. Les opinions se partageaient déjà. Les uns voulaient que ce soit l’effigie de Jules Guiraud, les autres celle de Pardailhan ; mais, le jour s’étant levé pendant la discussion, on put voir le nom de l’Abbé de Genoude écrit sur la poitrine de l’individu. Le doute n’était plus permis, un ami de la propriété s’empressa de faire disparaître le corps du délit pour s’approprier sa défroque.
Pardailhan a une extinction de voix depuis qu’il a donné la sienne à Monsieur de Genoude. Monsieur et Madame Figueres ont une conversation aussi variée qu’à l’ordinaire.
Fais mes compliments à Amélie et rappelle-moi au souvenir des Gaïx, Hauterive, etc.,
Je t’embrasse très affectueusement.
Mon cher Louis,
Je reçois à l’instant ta lettre et celle de l’ami Théobald (Monsieur d’Escouloubre). Je ne perdrai pas des heures ni même une heure pour réfléchir mûrement aux propositions qu’il est chargé de me transmettre. Tu connais ma pensée en fait de mariage, je ne veux changer ma position que d’une façon avantageuse et je ne trouve rien d’avantageux dans ce qu’on me propose. Avec mes Espagnols et mes chemins de fer je suis arrivé à des revenus de 2.000 à 2.300 frs par an. Mettons 2.000 en moyenne, ma mère me comptant 9.000 frs, pour compléter les 15.000 qu’elle me donne en me mariant, soit 450 frs d’intérêt, total : 2.450 frs de revenus et 3 000 frs d’appointements soit 5.450 nets. Je me considère comme fort à mon aise depuis quelques années, et, dans le fait, n’ayant pas de besoins ruineux je peux pleinement les satisfaire. Ma navigation 17 ans sur 21, en arrêtant mes dépenses, me double au moins mon avoir disponible quand je suis à terre. Avec une femme : le loyer, la table, les gages des domestiques courront toujours. Il faudrait ensuite caramboler constamment entre Toulon et Toulouse et je sais ce que coûtent les voyages que je ne fais pas aux frais et par ordre du gouvernement. Une femme triple la dépense d’un garçon, c’est à dire que si je puis dépenser seul 1000 écus, il m’en faudrait 3000 étant marié, sous peine de me restreindre, ce dont je n’ai pas envie. En outre le physique agréable m’épouvante. Je m’imagine un manche à balai farci de coton et de crinoline. Sans quoi l’ami Théobald se serait un peu plus étendu sur les agréments personnels de ma future. Ses talents en peinture me paraissent problématiques, et son maitre de dessin doit être pour beaucoup dans ses ouvrages. Je la suppose de la force de ma chère nièce Hernie ? Quant à sa noblesse, j’en ai assez pour deux et je tiens fort peu à cet apport matrimonial. Je suis plus républicain que Théobald à cet endroit.
Te voilà, j’espère, fixé sur mes intentions. Transmet les à l’ami Théobald de la façon la plus polie et la plus convenable. Tu me donneras en outre son adresse pour que je le remercie d’avoir bien voulu contribuer à assurer mon bonheur. Car, tonnerre de Dieu, il faut des procédés.
L’Escadre vient de changer son amiral, je vais tacher de m’y infiltrer. Je suis très lié avec les deux chefs d’Etat-major de Laruene et de Dubourdien je vais leur écrire pour qu’ils me trouvent quelque chose.
Bonald donne sa démission, et quitte Saint-Pons jeudi.
Le chenil de Félix et son maitre vont bien, Nous allons en bloc à Marthoné demain pour y diner, Justine m’a communiqué les préliminaires du mariage d’Élisabeth.
Je ne veux pas venir encore à Lostange. Du reste le mariage de Mademoiselle de Viviez vous amènera du monde à loger. S’il se faisait pendant que je serais à Lostange j’aurais l’air d’aller chercher une invitation. En outre mes nouveaux projets sur l’Escadre me font une nécessité de rester quelques jours ici pour attendre des réponses à mes lettres.
Adieu, Mon cher Louis, mille compliments à Amélie.
Je t’embrasse affectueusement.
Beau temps, vent d’ouest
Mon cher Louis,
Les élections prochaines occupent tous les esprits à Saint-Pons comme ailleurs. Louis Napoléon a beaucoup de voix dans le peuple. Le Comité légitimiste de Saint-Pons, qui ne s’est pas heureusement constitué, vote individuellement pour lui. Depuis quelques jours je suis battu en brèche par Gustave, Figuère, Denis Gély, Patinou a, et autres orateurs qui me demandent compte de tous les actes de Cavaignac. J’ai beau leur dire que je ne suis pas son avocat, ils parlent alors comme des sourds : « tu me diras tel ou telle chose ». J’ai beaucoup de peine à les arrêter, et à leur dire que je ne leur dirai rien du tout. Ils continuent à pulvériser les raisonnements que je pourrais leur faire, et décident que l’on ne doit rien à Cavaignac pour sa conduite en juin, parce qu’un autre aurait l’ait, la même chose que lui, ce raisonnement est assez paradoxal, car je conclurai au contraire que l’on devrait avoir pour cet autre la même reconnaissance que l’on a pour lui. Réellement ces gens de Saint-Pons sont assommants. Je ne leur demande aucun espèce de compte de leurs opinions, et de leurs votes ; et ils viennent me relancer jusqu’à la maison, trop heureux quand ils ne me t’ont pas leurs raisonnements sur la promenade, en criant suivant leur habitude déplorable.
Je ne sais en réalité pour qui voter. Denis Gély me garantit l’empire sous peu, si je vote pour Napoléon. J’avoue que si je croyais à son infaillibilité, je voterais immédiatement pour lui, mais je crois encore la république derrière lui, la guerre civile, et une nouvelle édition de la dû « National » en 1849 et du « Constitutionnel » en 1850.
Cavaignac tient le pouvoir, nous n’aurons donc pas de secousse dans cette nouvelle nomination et peut-être aurons-nous une république honnête, si la chose est possible en France ; il est fils d’un régicide, mais l’oncle de Napoléon a fait fusiller le Duc d’Enghien. Ils n’ont pas grand-chose à se reprocher mutuellement sous ce rapport. Cavaignac est un militaire renommé, il entend les affaires.
Napoléon est, dit-on, un homme nul, il n’est connu que par deux bêtises qu’il a faites. C’est déplorable d’avoir à choisir entre ces deux Messieurs. Je sais bien que Ledru-Rollin n’est pas régicide et n’a pas fusillé le Duc d’Enghien, Raspail non plus, mais que veux-tu je préfère encore les deux autres.
Tout le monde veut savoir quand tu arrives à Saint-Pons, le nombre de jours et d’heures que tu y passeras, si tu vas à Perpignan, à quelle époque et pour quel temps, si tu vas à Rodez (mêmes questions). Un homme d’une grande curiosité, après m’avoir vainement tourné pour savoir si j’allais à Paris, à Ronel, à Toulon, etc., a fini par me demander catégoriquement : « enfin quels sont tes projets ? » Tu connais l’homme : c’est Léon Guiraud. Cette curiosité effrénée est en réalité bien impertinente, je m’amuse à la déjouer, tu ne saurais croire combien ces braves gens en sont contrariés. Du reste on s’occupe assez de nous, de nos faits et gestes. Ces demoiselles ont appris hier qu’elles avaient changé de modiste à cause des opinions politiques du père. Mon Dieu que Dieu les bénisse
Mes compliments à Amélie, hommages à Madame Dax. Ton frère affectionné
Pourquoi Gustave de Marliave signe-t-il ses professions de foi Gustave Marliave ? Je suis sûr que Léon nous dira que c’est une faute d’impression.
Louis Napoléon fut élu président de la République par 5.434.000 suffrages, tandis que Cavaignac n’en obtenait que 1.443.000, Ledru Rollin 370.000, Raspail 36.000 et Lamartine 17.900 (10 décembre 1848).
Extrait d’une lettre adressée au Ministre par M. le maréchal Général de Dalmatie, en date de Soult-Berg, le 7 avril 1849
J’ai reçu dans le réponse en date du 8 mars que vous avez eu la bonté de me faire concernant M. le Lieutenant de vaisseau de Bonne. Bien qu’il ne vous ait pas été possible de l’appeler près de vous et qu’il n’ait point été proposé pour un commandement effectif, j’espère que par la suite, il pourra se présenter une occasion de l’employer activement, et je persiste à croire que les sentiments qui l’animent le rendent digne de cette faveur.